21 avril 2023

Le remboursement des soins logopédiques – Dossier

Lors de la dernière Commission santé du Parlement Fédéral, la députée Sophie Rohonyi a posé une question au Ministre de la santé Frank Vandenbroucke à propos du non-remboursement des frais de logopédie pour enfants avec une déficience intellectuelle et/ou un Trouble du Spectre de l’Autisme (TSA). L’échange entre le ministre et la députée peut être consulté sur notre site.

>>> Télécharger notre dossier complet sur la logopédie <<<

La question posée par la députée Rohonyi se résume ainsi :

Comment expliquez-vous qu’un remboursement des soins logopédiques pour tous les enfants ne soit actuellement prévu ni dans le plan d’action fédéral Handicap ni dans d’autres dispositifs ?

En effet, un enfant ayant moins de 86 points de quotient intellectuel (QI) ne peut avoir droit au remboursement dans le cadre de séances monodisciplinaires. De même pour un enfant avec un diagnostic d’autisme et ce indépendamment de son niveau intellectuel.

Nous sommes face à une nomenclature qui discrimine de fait les enfants avec une déficience intellectuelle et/ou avec un TSA. Cette discrimination est dénoncée par le secteur associatif depuis de nombreuses années appuyé par le Délégué Général aux Droits de l’Enfant et par UNIA. Notre cahier de revendications pour les élections de 2019 demandait déjà, en revendication prioritaire « le remboursement des frais de logopédie en ambulatoire, sans discrimination sur base de l’âge, du type de handicap et du quotient intellectuel. »

Le Ministre Frank Vandenbroucke a développé plusieurs arguments :

  1. La nomenclature exclut le remboursement des soins logopédiques en cas de trouble secondaire dû à une affection psychiatrique. Les TSA sont dès lors assimilés à des affections psychiatriques. Néanmoins le lien de causalité entre les TSA et les troubles du langage est difficile à prouver.
  2. Le groupe de travail nomenclature à l’INAMI est chargé de formuler une proposition de réforme des critères d’exclusion en tenant compte du cadre budgétaire. En attendant, « des accords de traitements peuvent être octroyés par les mutuelles à la condition que le logopède ou le prescripteur du traitement déclare clairement qu’il n’y a pas de lien de causalité entre le TSA et le trouble logopédique ».
  3. La prise en charge par l’assurance soins de santé de certains traitements logopédiques est exclue lorsque le patient suit un enseignement spécialisé, car les soins de logopédie sont financés et organisés par le système scolaire dans le cadre des communautés.
  4. Le quotient intellectuel (QI) du patient doit être supérieur à 86 pour obtenir un remboursement. La commission de convention logopèdes-organismes assureurs estime que les enfants ayant un QI inférieur à 86 ont davantage besoin d’un traitement pluridisciplinaire en centre de rééducation ambulatoire, plutôt que d’un traitement monodisciplinaire. Dans ce contexte aussi, la compétence relève des communautés et ce depuis la sixième réforme de l’Etat.
  5. Le Ministre estime qu’il existe plusieurs possibilités d’accéder aux soins de logopédie pour les patients avec un TSA et/ou un quotient intellectuel inférieur à 86.
  6. Le déconventionnement de plusieurs logopèdes n’est pas selon le Ministre un obstacle majeur au remboursement des frais de logopédie pour les personnes les plus démunies.

>> Lire la retranscription des échanges entre la députée et le ministre

“Un trouble secondaire dû à une affection psychiatrique”

Selon le Ministre, les enfants présentant un trouble du langage considéré par l’INAMI comme « trouble secondaire dû à une affection psychiatrique » (dans ce cas un TSA) sont exclus du remboursement des soins logopédiques. En même temps, le Ministre reconnaît que le lien entre TSA et troubles du langage est difficile à prouver. Il y a donc une contradiction apparente dans la réponse du Ministre qui à elle seule remet en cause la position de l’INAMI.

Nous rappelons que depuis 1994 en Communauté Flamande et 2004 en Communauté Française, l’autisme est déclaré comme un handicap spécifique et sort ainsi du champ de la maladie mentale (une maladie peut se soigner et guérir, un handicap reste à vie même si les symptômes peuvent être améliorés). Bien qu’il reste répertorié dans les manuels des troubles mentaux, l’autisme est considéré comme un trouble du développement cérébral avec une forte composante génétique et est ainsi défini par l’OMS : « L’autisme se caractérise par des difficultés plus ou moins marquées à gérer les interactions sociales et à communiquer ». Au niveau des causes, l’OMS indique que « les données scientifiques laissent penser que divers facteurs, tant génétiques qu’environnementaux, contribuent à l’apparition de l’autisme en influençant les premiers stades de développement du cerveau. L’autisme n’est pas une affection psychiatrique qui affecte le niveau de conscience ou la perception de la réalité, mais consiste en un fonctionnement cérébral différent.

Il est démontré par différentes études sur les bonnes pratiques de prise en charge (evidence based) de l’autisme que les interventions précoces intensives adaptées de type comportemental peuvent faire progresser de manière significative l’enfant dans le domaine de la communication et des relations sociales. Les enfants avec un TSA peuvent apprendre à communiquer de manière alternative (via la CAA ou Communication Améliorée et Alternative : utilisation de pictogrammes, signes, tablettes de communication…), mais aussi développer le langage, même si beaucoup plus tard que les autres enfants. Les symptômes liés à l’autisme peuvent donc évoluer positivement et les enfants autistes peuvent à terme devenir des adultes autonomes. L’INAMI ne semble pas être à jour en matière de connaissance des TSA et de l’évolution de la recherche scientifique.

Les guides de recommandations pour l’accompagnement des jeunes autistes édités par les organes fédéraux belges KCE et CSS-Conseil Supérieur de la Santé préconisent l’utilisation des approches éducatives et comportementales, ainsi que des méthodes de communication alternative comme le PECS (système de communication par échange d’images), déjà relativement connu et répandu en Belgique. Le PECS est étroitement lié aux pratiques de l’ABA fonctionnel. L’apprentissage du PECS, tout comme celui d’un autre moyen de communication alternative, peut se faire en parallèle et de manière indépendante d’autres interventions, bien qu’une cohérence d’approches soit recommandée. Dans notre pays, l’apprentissage du PECS s’effectue couramment de manière monodisciplinaire par des logopèdes formés.

L’INAMI semble ignorer les recommandations nationales et internationales en matière de traitements de l’autisme. Sur notre site, on peut trouver les références nationales et internationales des différentes études et guides de recommandations.

Du cadre budgétaire (et des possibilités de contourner le règlement)

Le Ministre affirme qu’une « proposition de réforme des critères d’exclusion » doit tenir « compte du cadre budgétaire ». Nous estimons que l’argument financier ne peut être invoqué face à une discrimination.

La loi belge contre les discriminations garantit un traitement égal de tous les citoyens, le handicap ne peut pas être un facteur de discrimination. L’art. 22ter de la Constitution belge récemment adopté, renforce cette garantie : « Chaque personne en situation de handicap a le droit à une pleine inclusion dans la société, y compris le droit à des aménagements raisonnables (…) ». Les soins logopédiques visant à permettre le développement de la communication et du langage contribuent au bien-être et à l’inclusion sociale des personnes handicapées.

Plus interpellant, le Ministre déclare que la seule façon d’obtenir un remboursement de soins logopédiques est de demander à son praticien de signer un document attestant qu’il n’y a aucun lien de causalité entre le TSA et le trouble du langage à traiter. Cette suggestion est malaisante car elle charge les professionnels de la santé de la responsabilité de contredire la nomenclature INAMI, mais aussi la réalité de l’autisme (voir point 1). Comment un praticien pourrait-il objectivement déclarer que les troubles du langage n’ont aucun lien avec l’autisme alors que l’autisme-même est défini par les classifications internationales des maladies comme un trouble « pouvant » affecter la communication verbale et non verbale ? (ICD-11 for Mortality and Morbidity Statistics, Version : 01/2023).

La logopédie à l’école

Selon le Ministre, les enfants avec des déficiences peuvent bénéficier de soins logopédiques dans le cadre de l’enseignement spécialisé.Or, le Ministre ne semble pas connaître la réalité de terrain des écoles francophones confrontées au manque structurel de personnel. Dans la plupart des écoles spécialisées de la Communauté Française, il n’y a qu’une ou deux logopèdes par école (parfois, elles ne travaillent qu’à temps partiel…). C’est bien peu pour assurer les thérapies de centaines d’enfants et les interventions intensives pour l’apprentissage de la communication alternative. De plus, il n’est pas du tout rare que ces logopèdes soient dispatchées dans des classes pour renforcer l’encadrement des enfants qui nécessitent davantage d’attention. Ainsi, leur fonction première est détournée et ne peut être exploitée. Cela mériterait une enquête sur le terrain.

Or, une méthode alternative de communication nécessite un accompagnement intensif, du moins dans un premier temps. Pour l’apprentissage du PECS, par exemple, l’implication de deux personnes (celle qui enseigne et celle qui motive) est requise dans la phase initiale. Cela n’est pratiquement pas possible dans le cadre scolaire, mais bien dans un contexte d’intervention individuelle, que ce soit mono ou pluridisciplinaire.

En outre, on ne prend pas en compte le nombre important d’enfants autistes déscolarisés, ou exclus du système spécialisé – la majorité du temps en raison de leurs troubles de comportement – et qui ne peuvent donc pas bénéficier de soins adaptés dans un cadre institutionnel. 

Il est à noter enfin que l’enseignement spécialisé de type 9, uniquement développé en Flandre et spécifique à l’autisme sans déficience intellectuelle, permet effectivement un meilleur accompagnement des enfants avec TSA. La Flandre, en ouvrant le type 9 en 2015, a permis à de nombreuses familles de bénéficier d’un enseignement plus adapté et ainsi d’obtenir un suivi logopédique de qualité sans frais supplémentaires. Ce qui n’est pas le cas de la Communauté Française de Belgique. Cela ne fait que démontrer qu’il y a une disparité importante entre les deux principales communautés du pays et que cela représente une discrimination supplémentaire pour une partie non négligeable de la population. Seul l’accord de remboursement de soins individuels peut garantir un traitement égal sur le territoire belge.

Au sujet du QI et des soins dans les centres de rééducation ambulatoire

Selon le Ministre, la Commission de convention logopèdes-organismes assureurs estime que pour les enfants ayant un QI inférieur à 86 « le traitement monodisciplinaire est moins efficace car il n’y a pas de consultation et d’interactions continues et intensives avec les autres disciplines médicales et paramédicales ». Il est démontré que cela n’est pas le cas (voir point 1).

L’INAMI estime que les centres de rééducation ambulatoire peuvent mieux répondre aux besoins des enfants avec une déficience intellectuelle mais ne semble pas connaître la difficulté d’accès à ce type de centres dans la partie francophone du pays. Si les « revalidatiecentrum » flamands sont nombreux sur le territoire et les « conventions autisme » permettent d’accueillir un grand nombre d’enfants de la Communauté flamande, le territoire francophone est très mal servi dans ce contexte. Leur capacité d’accueil est globalement très réduite car les conventions autisme sont minimales (par choix des centres). D’autre part, le manque de formation aux bonnes pratiques recommandées par le KCE et du CSS (voir point 1) est particulièrement criant en Communauté française, y compris dans ce type de centre. La partie francophone du pays souffre encore d’un énorme retard en matière de bonnes pratiques, étant toujours influencée par l’approche psychanalytique obsolète de l’autisme bien ancrée sur le territoire, bien que non recommandée par le KCE et le CSS. Une enquête menée par le GAMP confirme cette situation (enquête en annexe).

Par ailleurs, la manière dont l’évaluation du QI se fait chez les enfants avec une déficience, autistes et non, est discutable. ​A titre d’exemple, une étude canadienne publiée en 2018 dans le Journal of Autism and Developmental Developmental Disorders indique que « l’intelligence des enfants autistes peu verbaux risque d’être sous-estimée”. (“Intelligence in minimally verbal children on the autism spectrum is at risk of being underestimated”). Cette étude démontre que les enfants ordinaires obtiennent des résultats significativement meilleurs que les enfants avec TSA sur les tests conventionnels d’évaluation de QI, mais que la performance des deux groupes devient équivalente si les tests sont adaptés (notamment en insistant sur les compétences visuelles pour les enfants autistes). Bien souvent, ce n’est donc pas leur intelligence qui est déficiente, mais le test qui est inadapté à leur structure neurodéveloppementale. D’autres études démontrent que les mesures de QI ainsi que le diagnostic d’autisme ne sont pas immuables et peuvent être largement améliorées. Une recherche bibliographique sur ces études et résultats est en cours.

Conclusion

Le droit à la santé et à bénéficier des mêmes soins que les autres citoyens belges est inaliénable. Le refuser à des jeunes patients autistes et/ou avec une déficience intellectuelle représente une violation des droits des patients, une violation des différentes Conventions internationales signées et ratifiées par la Belgique (droits de l’enfant et droits des personnes handicapées de l’ONU, Charte sociale européenne…) ainsi que de la Constitution belge.

L’INAMI ne tient pas compte des recommandations de bonnes pratiques venant des organismes fédéraux préposés à cet effet (CSS, KCE). Selon le KCE, les troubles du langage chez l’enfant avec autisme doivent être abordés précocement et la nécessité d’instaurer de la logopédie doit être déterminée indépendamment du QI de l’enfant.

Les familles, souvent bien renseignées en matière d’autisme et de méthodes d’apprentissage recommandées, sont confrontées aux défaillances du système d’aide et soins, surtout dans les régions francophones et plus particulièrement aux carences des soins logopédiques dans l’enseignements spécialisée ou dans les centres pluridisciplinaires. Elles sont contraintes d’assumer seules les frais des soins logopédiques en libéral (individuel).

Le GAMP et Inforautisme, son association membre, estiment que le refus de remboursement des soins logopédiques monodisciplinaire est, au-delà d’une violation des droits, un acte volontaire de condamnation des enfants autistes à développer des sur-handicap tout au long de leurs vie par défaut de soins. Cela a des implications désastreuses non seulement sur le devenir de ces enfants et de leurs familles mais aussi à plus long terme sur la société qui devra assumer la charge de l’accueil de ces personnes devenues adultes dans un contexte institutionnel, y compris en hôpital psychiatrique par défaut d’autres places.

Comme par le passé, le GAMP se réserve les droits d’entamer toute action légale visant à faire respecter les droits des citoyens les plus faibles.

>>> Télécharger notre dossier complet sur la logopédie <<<

Powered by ©AASolutions new technologies 2023 - GAMP Contabo SelfHosted Website