13 décembre 2022

Les effets du bruit sur la prise de décision

Alors que des heures silencieuses sont proposées dans un Delhaize bruxellois pour les personnes autistes, quels sont les effets véritables du bruit sur la prise de décision ? Nous le savons, le bruit peut déconcentrer et altérer nos choix, mais aussi augmenter notre anxiété. Chez les personnes autistes cette difficulté est d’autant plus grande. Mais qu’en dit la recherche scientifique ?

Dans leur étude The effect of ambient sounds on decision-making and heart rate variability in autism de 2021, des psychiatres de l’Université de Cambridge ont cherché à étudier comment l’environnement sonore d’un supermarché pouvait influencer la prise de décisions et l’anxiété d’une personne.

Deux groupes – l’un étant constitué de personnes autistes, l’autre de personnes neurotypiques (non-autistes) – ont été soumis à trois situations d’achats dans des supermarchés différents : sans bruit, avec bruits sociaux (de source humaine) ou avec bruits non-sociaux (de source artificielle). L’étude a ainsi permis de chiffrer la qualité des prises de décision, ainsi que l’anxiété, selon l’environnement sonore du supermarché.

Rapidité de prise de décision

D’une manière générale, les personnes autistes ont plus de difficultés à prendre des décisions que les neurotypiques. Là où les neurotypiques peuvent prendre des décisions avec plus ou moins la même vitesse dans toutes les situations (bruyantes ou silencieuses), il n’en est cependant pas de même pour les personnes autistes, chez qui la rapidité de prise de décision est très dépendante de l’environnement sonore. Dans un environnement bruyant, les personnes autistes mettent beaucoup plus de temps à se décider que dans des environnements calmes. Or, dans un supermarché, la rapidité de décision est primordiale, plus une personne reste indécise dans un lieu clos et plus son anxiété risque d’augmenter.

Latence dans la prise de décision. Les pointillés en orange sont les résultats du groupe de personnes autistes, la ligne bleue sont les résultats des neurotypiques. Chaque colonne renvoie à trois expériences : pas de bruit, bruit non sociaux, bruits sociaux.

Ce qu’il y a d’intéressant, c’est que les bruits sociaux altèrent plus fortement la qualité de décision que les bruits non-sociaux. En d’autres mots : la présence de bruits produits par des Humains conduit à des prises de décision plus lentes. Un homme qui parle ou un enfant qui crie ralentissent plus fortement la prise de décision qu’un bip de machine ou un crissement de roues. Mais là où la latence moyenne de décision est, pour une personne neurotypique, presque négligeable, il en est tout autre pour les personnes autistes, chez qui la présence de bruits sociaux peut mener à des latences très importantes. Ainsi, les bruits produits dans l’espace public par des individus sont beaucoup plus gênants pour les personnes autistes que les bruits artificiels.

Les chercheurs ont tenté d’expliquer cette différence de latence entre les bruits sociaux et non-sociaux. Les répondants avec autisme déclaraient que les bruits sociaux étaient plus imprévisibles, forts, à très hautes ou basses fréquences, et donc substantiellement beaucoup plus aversifs que les bruits artificiels, non-sociaux. Par ailleurs, l’anxiété étant l’une des comorbidités les plus importantes de l’autisme, il y a une tendance chez les personnes autistes à être plus vite importunés que les autres par des bruits provenant de sources humaines.

Cohérence dans la prise de décision

La rapidité d’une prise de décision ne fait pas tout, celle-ci doit aussi être mise en perspective avec la cohérence d’une décision, soit la capacité à maintenir un choix et ne pas dériver de son but initial. Par exemple, se rendre dans un supermarché avec l’idée d’acheter du fromage et revenir avec du fromage constitue une décision plus cohérente que de revenir du même supermarché avec du fromage, de la glace, des biscuits. Dans le premier cas, les achats sont en complète cohérence avec la volonté de départ (acheter du fromage), dans le second, la décision a été altérée, ou modifiée par des éléments divers (glace, biscuits), et peut être considérée comme moins cohérente.

D’une manière générale, les personnes autistes prennent des décisions plus cohérentes que les neurotypiques. Ils dévient plus rarement de leurs choix initiaux, et ont des comportements qui peuvent paraître plus rationnels. Or, cet avantage se perd dès que l’environnement devient bruyant. Dans le tableau suivant, l’étude montre à quel point la cohérence dans la prise de décisions des personnes autistes chute dès que la situation devient bruyante. Comparée à une personne neurotypique, la personne autiste ne pourra ainsi pas bénéficier de son avantage.

Qualité de la prise de décision.

Pour ce qui est de la cohérence dans la prise de décision, que les bruits soient sociaux ou non-sociaux ne fait pas de grande différence. Les décisions prises dans un environnement social bruyant ne seront pas plus incohérentes que celles prises dans un environnement bruyant non-social. Quand il y a du bruit, peu importe son origine, la personne autiste risque de faire des choix plus incohérents.

Ce qui fait dire aux chercheurs de l’étude que le bruit pour les personnes autistes constitue davantage un problème sensoriel que social. En effet, le bruit social ne rend pas les décisions plus incohérentes, mais seulement plus lentes. Ce qui laisse penser que cette latence provient de l’anxiété liée à la situation sociale plutôt qu’à une véritable chute des performances. Faute de données supplémentaires, les chercheurs reconnaissent qu’il n’est pas encore possible de trancher cette question.

Conclusion

La conclusion de cette étude indique que les bruits de l’environnement altèrent les capacités de décision, en matière de cohérence, mais aussi de rapidité. En revanche, les personnes neurotypiques et les personnes autistes ne sont pas égales en la matière, les neurotypiques ayant tendance à mieux tolérer les bruits extérieurs que les autistes.

Retirer les bruits des lieux publics permet ainsi aux personnes autistes, mais aussi aux neurotypiques, de prendre de meilleures décisions. Des décisions plus rapides, plus cohérentes, et qui provoquent moins d’anxiété. L’adaptation de nos lieux publics aux personnes autistes permet donc de clairement faciliter leur vie, en leur proposant des lieux moins anxiogènes, plus apaisés.

Pour rappel, en Grande-Bretagne, deux tiers des personnes autistes indiquaient éviter de faire leur course parce qu’ils considèrent les supermarchés comme trop anxiogènes.

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