21 mars 2018

Cachez ce handicap de grande dépendance que je ne saurais voir – par Corine Jamar

Les pubeurs, c’est rien que des menteurs. Je le sais, j’ai travaillé une bonne dizaine d’années en agence. Jusqu’à ce que naisse ma fille, IMC et autiste. Travailler dans la pub où, tous les jours, on est confronté à cette obligation de travestir la vérité, et être la maman d’une enfant en situation de handicap de grande dépendance était devenu, comment dire, incompatible. Ma fille fait partie de ce genre de public qui ne se montre pas dans les pubs. Même pas dans celles qui récoltent des fonds pour elle ! Les campagnes des associations qui défendent les droits des personnes handicapée ne dérogent pas à la règle qui veut que, dès qu’on sort une annonce, une affiche ou un film publicitaire, on « photoshop » la réalité. On ment, quoi ! Les modèles choisis dans les agences de casting pour vanter les soi-disant mérites de tel ou tel produit n’y ont sans doute jamais goûté qu’il s’agisse d’un truc à boire ou à manger. Ni étalé sur leur peau encore juvénile voire pubère une crème anti-âge visant les femmes de plus de cinquante ans. Parfois, ils posent leurs fesses dans des voitures (les femmes à poil, et comme il se doit sur le capot) qu’ils n’achèteront jamais ou dans des fauteuils roulants qu’ils quitteront aussitôt la prise de vue ou le tournage terminé. Un exemple : au Brésil, de faux athlètes handicapés ont pris la place des vrais pour une campagne de promotion pour les jeux paralympiques, ils étaient plus glamour, apparemment. Quand des campagnes représentent une personne handicapée, celle-ci aura une prothèse au bras, circulera en fauteuil roulant, sera trisomique (merci Le huitième jour) ou autiste de haut niveau (merci Rainman) mais toujours, elle sera PRESENTABLE. Nos enfants en situation de handicap de grande dépendance, surtout quand ils deviennent adultes, ne le sont pas, c’est là que ça coince. Qui a envie de montrer – allez, je grossis le trait exprès – quelqu’un la bave aux lèvres, les yeux pendus au plafond comme de pauvres ampoules oubliées, la bouche tordue et le visage difforme, vaguement debout ou complètement allongé ? Si une association s’y risque, on l’accuse de donner dans le voyeurisme. Je ne dis pas qu’il faut absolument montrer des personnes handicapées de grande dépendance, ce n’est pas ça. Mais je m’interroge : pourquoi fait-on une sélection ? Le handicap physique (sans atteinte intellectuelle) et le handicap mental léger d’un côté, le handicap lourd ou, comme on dit maintenant, de grande dépendance, de l’autre. Le pas trop moche VS le super moche. Celui qui parle VS celui qui ne parle pas, qui est non verbal. L’image a, décidément, besoin des mots. Que la personne handicapée de grande dépendance communique autrement avec des outils comme la CF, le Mind-Express, le PECS, le code Sésame, Bliss, Coghamo, ou pas du tout, n’a aucune espèce d’importance pour l’annonceur. Pourtant, celui-ci n’hésite pas, parfois, à montrer la dure réalité de la vie : les réfugiés, les SDF… Le « petit biafrais » à l’époque. Je me souviens d’un jour, au parc. Ma fille devait avoir six ans et elle ne communiquait pas encore. Elle avait été attirée par un petit garçon plus petit qu’elle et s’était dirigée vers lui, cahin-caha, ses attelles visibles dans ses grosses chaussures orthopédiques, poussant de petits cris. La mère s’était précipitée pour soulever de terre son enfant, comme si ma fille était un chien méchant prêt à le mordre. Et je me demande s’il n’est pas là, le problème. Le public, par ignorance et manque d’information, dénie aux personnes de grande dépendance non-verbales leur appartenance au genre humain. Un être humain se distingue de l’animal par le fait qu’il parle. Affirmation bien connue et communément admise par tous. Les gens se laissent émouvoir par une personne handicapée à condition que celle-ci donne des signes de son humanité, autrement dit qu’elle parle. Ou, qu’au moins, elle prouve (à l’image, toujours) une certaine intelligence, même limitée, même différente. Les apparences sont, alors, plus ou moins sauves. Si la personne fait penser à un animal – à un monstre, comme cette mère dans le parc avait perçu ma fille – c’est mort. Les gens soutiennent la cause animale parce qu’il est normal qu’un animal ne parle pas. Et donc, dans ce cas, on peut montrer des images hyper violentes au public : des rhinos massacrés par des braconniers pour leurs cornes, des éléphants pour leurs défenses, des ours polaires affamés en train d’agoniser sur la banquise. Pourquoi, me demande-je ? Peut-être parce qu’il n’y a aucune identification possible. Les frontières sont bien marquées. On a pitié mais on n’a pas peur. Jamais on ne risquera d’un jour leur ressembler tandis qu’à une personne handicapée de grande dépendance, si. Il suffit d’un AVC, d’un très grave accident ou d’une maladie super invalidante (contrairement à certaines idées reçues, le handicap de grande dépendance n’est pas toujours congénital, il ne survient pas toujours à la naissance, il n’est pas toujours dû à un problème génétique. 80% des handicaps arrivent APRES l’âge de seize ans, qu’on se le tienne pour dit !) Voilà. Un truc est sûr : les as du marketing insistent sur l’importance de valoriser un produit. Il est difficile de donner des personnes dont j’ai parlé ici une image flatteuse, c’est un fait. Une annonce même pleine page, un abribus, un 20 m2 ou un film de 30 secondes ne rendra jamais compte de ce que nos enfants, malgré tous les emmerdements et parfois des vies fichues en l’air, nous apportent. Pour ça, il faut un livre ou un film. Ou des gens prêts à nous écouter pendant des heures… Tiens, à propos d’écouter ! Au moment où je mets le point final à ma petite bafouille et m’apprête à boire un verre de vin rouge bien mérité (il est tout de même 20 h), j’allume mon poste radio. Des personnes qui ne sont, les paris sont ouverts, pas le moins du monde handicapées, et qui parlent comme des avocats ou des acteurs, témoignent de l’importance de pratiquer un sport. Le spot radio est commandité par handisport (fédération francophone.) Belle initiative, super, on applaudit des deux mains. Mais pourquoi n’y en a-t-il pas un, un seul, on ne demande pas la lune, qui s’exprime difficilement ? Qui bégaie, rien qu’un tout petit peu ? CQFD !

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